Explosion du nombre des actions indemnitaires, augmentation du montant des amendes imposées par les autorités de concurrence, recours à la transaction… Les évolutions du contentieux de la concurrence placent les juristes d’entreprise face à de nouveaux défis.
Du côté des autorités de concurrence, le constat est sans appel. Les montants des amendes sanctionnant des pratiques anticoncurrentielles ne cessent d’augmenter. À Bruxelles, la DG Concurrence, particulièrement active depuis l’arrivée de la commissaire Margrethe Vestager, « impose les plus grosses amendes au monde », souligne Olivier d’Ormesson, ancien avocat et membre du collège de l’Autorité de la concurrence depuis 2014.
A Paris, l’Autorité n’est pas en reste. Ce mouvement d’intensification de la traque des pratiques anticoncurrentielles et de durcissement des sanctions est notamment porté par Stanislas Martin, le « très actif » rapporteur général en charge de l’instruction depuis 2017. Et par Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité depuis 2016, chez qui on peut observer « une forme de pragmatisme et une volonté de faire évoluer le corpus réglementaire, les lignes directrices et les outils à sa disposition », relève Frederick Amiel, directeur juridique concurrence du Groupe Suez et ancien rapporteur auprès de l’Autorité pendant 4 ans.
Autre tendance remarquable du côté des autorités de régulation : la montée en puissance des transactions. Cette procédure, venue remplacer celle de non-contestation des griefs depuis la loi Macron, « est incontestablement un succès », estime Olivier d’Ormesson. De fait, depuis son entrée en vigueur, 12 décisions ont été rendues au bénéfice d’une transaction, en matière d’abus de position dominante comme de cartels ou de gun jumping.
Et après deux années de pratique et plusieurs mois de consultation et d’échanges avec les parties prenantes, l’Autorité a publié le 27 décembre dernier un communiqué de procédure sur la transaction afin de donner plus de lisibilité et de prévisibilité aux entreprises quant à son déroulement.
Frederick Amiel est, pour sa part, « assez partagé » face au développement de cette pratique :
« L’Autorité y a un intérêt certain dans la mesure où elle estime avoir un problème d’allocation des ressources et que cela lui permet d’aller plus vite sur les dossiers. Les entreprises y ont également un intérêt car, outre la réduction du montant de la sanction, les décisions sont plus brèves, plus resserrées. En revanche, du point de vue du juriste, si les entreprises partent de plus en plus en transaction, l’apport de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence sera beaucoup plus faible. Or, le droit de la concurrence repose sur un corpus réglementaire rustique de sorte que la pratique décisionnelle est importante parce qu’elle permet de préciser des notions juridiques. Du point de vue des praticiens, il y a un risque de sclérose » si la pratique de la transaction venait à se développer fortement.
Au côté de l’action publique, mise en œuvre par la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence, le contentieux civil des actions indemnitaires connaît un développement rapide. Ces actions en dommages et intérêts introduites par des entreprises, le plus souvent concurrentes, qui s’estiment victimes de pratiques anticoncurrentielles sont « encouragées par la Commission européenne et par l’Autorité de la concurrence parce qu’elles les jugent complémentaires des sanctions qu’elles imposent », explique Olivier d’Ormesson.
La transposition de la directive européenne de novembre 2014 visant à lever les difficultés procédurales et probatoires, et à guider les juridictions dans le calcul des indemnités, a donné un nouvel élan à ce type d’actions. Elles connaissent depuis un phénomène d’accélération un peu partout en Europe. Or, Me d’Ormesson n'est « pas sûr que les entreprises soient parfaitement conscientes de cette tendance ».
Chez Orange, le directeur juridique concurrence et réglementation du groupe, Gabriel Lluch, continue, encore aujourd’hui, à gérer les répercussions de la condamnation de l’opérateur par l’Autorité de la concurrence en 2015 pour abus de position dominante. Une sanction qui a ouvert la porte aux actions indemnitaires. « Comme nous sommes un grand groupe, cela incite les entreprises à demander des montants pharamineux même s’ils ne sont pas du tout crédibles », relève-t-il.
Quant à l’ordonnance portant transposition de la directive, « elle a généré un effet d’emballement et des comportements très opportunistes », observe-t-il. Au final, « cela nous expose à des niveaux de demandes très importants, alors que certaines entreprises n’obtiennent rien au final ».
Bien entendu, tout le monde n’a pas la même approche de cette évolution. « Tout dépend de quel côté on se place », relativise Frederick Amiel, directeur concurrence du Groupe Suez, qui n’a, pour sa part, « jamais été impacté par des actions indemnitaires ». « La tendance de fond est au développement de ces actions et il ne faudrait pas tomber dans les travers que l’on connaît aux États-Unis. Mais si vous avez été victime d’une pratique anticoncurrentielle, vous n’êtes pas mécontent de demander une indemnité », pointe-t-il.
Des cabinets d’avocats n’ont pas mis longtemps à s’engouffrer sur ce terrain. « Des avocats français se spécialisent dans ce type d’actions pour accompagner leurs clients, en demande ou en défense », explique Olivier d’Ormesson. On observe aussi « l’arrivée à Paris de cabinets d’avocats américains spécialisés dans ce type d’actions et qui approchent les entreprises victimes de cartels pour leur proposer leurs services, rémunérés en fonction des sommes gagnées ». Dès lors, c’est « un phénomène qui s’auto-alimente, un cercle vicieux », commente Gabriel Lluch
Autre phénomène susceptible de contribuer à alimenter la machine à produire des actions indemnitaires : le développement de la pratique de la transaction.
« La transaction est un bon dispositif mais il faut bien en évaluer les conséquences », pointe Gabriel Lluch : « si vous choisissez de ne pas contester et de transiger sur l’ensemble des griefs - alors même que certains seraient contestables -, et si les juges du tribunal de commerce estiment que cette non contestation constitue une présomption de culpabilité, cela peut ouvrir grand la porte à des actions indemnitaires ».
Les juges consulaires se retrouvent en première ligne face à cette explosion des demandes, qui ne s’inscrivent pas toujours dans le prolongement d’une condamnation par une autorité de concurrence et sont parfois introduites directement auprès du tribunal de commerce. « Il est important que les juges fassent le premier filtre et constatent si le demandeur est crédible », estime Gabriel Lluch.
Et en ce qui concerne leur montant, « on va se retrouver avec des situations décorrélées de l’économie réelle si les juges ne mettent pas le holà ». Au final, « c’est un contentieux encore un peu jeune et l’aléa est très fort, on espère que les tribunaux vont se doter d’outils d’analyse pour faire face aux comportements les plus opportunistes des entreprises », conclut-il.
Quant aux juristes internes, ils doivent « se former, en défense comme en demande ». Et s’attacher à développer le volet compliance, pour prévenir ces contentieux.
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